Zoom sur ... L'agriculture

Sécheresses, inondations et coulées de boue, gel tardif, vagues de chaleur précoces, déclin de la biodiversité, pollution des sols … Les agriculteurs sont en première ligne face aux effets de la crise écologique, effets qui viennent s’ajouter à une situation économique déjà compliquée. Dans le même temps, l’agriculture fait également partie des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (cf notre article sur l’alimentation carnée). L’agriculture, c’est l’incarnation parfaite de l’expression “l’arroseur arrosé”. Source et victime du changement climatique, l’agriculture est aussi un acteur incontournable pour lutter contre la crise écologique. Décidément, le secteur agricole n’a pas fini de nous en faire voir des vertes et des pas mûres !

Le changement climatique impacte fortement les rendements agricoles

Cet été, la récolte de blé a enregistré une baisse de 25% par rapport à la moyenne des cinq dernières récoltes, faisant de 2024 la pire année pour la production de blé en France depuis 1987. En cause ? Des épisodes pluvieux exceptionnels, tant par leurs intensités et que par leurs durées. Deux ans plus tôt, alors que la France était frappée par une sécheresse historique, la production de blé enregistrait une baisse de 11 à 14% par rapport aux moyennes quinquennales, et celle de maïs enregistrait une baisse de 17%, soit la plus faible récolte depuis 1990. A la sortie de l’hiver 2024, de nombreux agriculteurs ont également vu leur récolte affaiblie par les floraisons précoces et l’arrivée tardive du gel. Côté vendanges, la situation est tout aussi inquiétante : les récoltes de 2024 devraient baisser de 18% par rapport à 2023 en raison de l’humidité importante lors de la floraison du raisin, d’orages de grêle et/ou de gel sévère.

"Tous les ans, on fait face à quelque chose de nouveau. Un excès, dans un sens ou dans l'autre. Une sécheresse ou trop d'eau. On parlait avant d'une année compliquée pour cinq années 'normales'. Aujourd'hui, c'est presque l'inverse." Nicolas Richarme, vigneron dans le Gard, au micro de franceinfo

La hausse des températures, en augmentant le phénomène d’évapotranspiration et en asséchant les sols, joue également un rôle dans la baisse des rendements agricoles. Les canicules à répétition pourraient ainsi faire peser un risque “extrême” sur 71% de la production alimentaire mondiale d’ici 2045.

En règle générale, la gravité des impacts des sécheresses et des canicules sur la production agricole a à peu près triplé ces cinquante dernières années, selon une étude publiée en 2021 dans la revue “Environmental Research Letters”. Un phénomène qui va s’aggraver dans les prochaines années en raison du changement climatique, et qui a des conséquences directes sur l’augmentation des prix des produits alimentaires.

Et cette situation n’est pas propre à la France. Outre-manche, l’hiver historiquement humide qu’a connu le Royaume-Uni a entraîné une baisse de revenus de 19% pour les agriculteurs. Le Maroc, qui connaît sa sixième année consécutive de sécheresse, devient de plus en plus dépendant des importations pour se nourrir. Au Brésil, la sécheresse et les incendies historiques de 2024 menacent la production de canne à sucre, de café, d’orange et de soja. Le Japon, quant à lui, est confronté à une pénurie de riz en raison du changement climatique et du tourisme de masse.

Le déclin de la biodiversité, l’autre grande menace qui pèse sur le secteur agricole

Les insectes et animaux auxiliaires tels que les oiseaux, les pollinisateurs ou les vers de terre sont essentiels pour assurer la bonne santé des écosystèmes agricoles, et donc de bon rendements. Le hic ? Ces derniers sont de plus en plus menacés, et, ironie du sort, l’agriculture conventionnelle est en partie responsable de ce déclin. C’est le serpent qui se mord la queue…

Le déclin de la biodiversité, l’autre grande menace qui pèse sur le secteur agricole

Les insectes et animaux auxiliaires tels que les oiseaux, les pollinisateurs ou les vers de terre sont essentiels pour assurer la bonne santé des écosystèmes agricoles, et donc de bon rendements. Le hic ? Ces derniers sont de plus en plus menacés, et, ironie du sort, l’agriculture conventionnelle est en partie responsable de ce déclin. C’est le serpent qui se mord la queue …

Les abeilles sont grandement menacées par les effets combinés du changement climatique, de l'agriculture intensive, de l'usage de pesticides, de la perte en biodiversité et de la pollutionM. Graziano da Silva, ancien directeur général de la FAO

Si l’impact de l’usage des pesticides sur la biodiversité n’est plus à démontrer, une méta-analyse parue en juin 2023 dans la revue Journal of Applied Ecology vient confirmer l’ampleur de ce phénomène, en démontrant l’effet généralisé des produits phytosanitaires sur l’abondance et la diversité des communautés de la faune du sol. Une autre étude, parue en mai 2023 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, démontre, quant à elle, que l’usage des pesticides et des engrais est la première cause de déclin des oiseaux en Europe.

Illustration de la perte de biodiversité selon la diversification des paysages agricoles | © Cour des comptes européenne

La biodiversité est également impactée par les effets du changement climatique, que ce soit directement, ou bien indirectement, comme le démontre cette étude britannique parue en mars 2023 qui établit un lien entre la hausse des températures induite par le changement climatique d’une part, et l’aggravation de l’effet de certains pesticides sur les pollinisateurs d’autre part. Une autre étude démontre quant à elle l’augmentation de l’utilisation de pesticides en France en raison du changement climatique. Rappelons par ailleurs que l’agriculture est l’un des principaux secteurs qui contribuent au changement climatique.

La baisse de la biodiversité végétale, provoquée par la simplification de notre alimentation qui ne repose plus que sur quelques cultures, comme le blé ou le maïs, est également responsable de l’effondrement de la biodiversité. Comme l’explique Michel Duru, Directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), au micro de franceinfo : "le fait qu'un tout petit nombre d'espèces, comme les céréales, soient cultivées sur de grandes surfaces conduit à un effondrement de la biodiversité dans les paysages. Il n'y a plus le gîte et le couvert pour les ennemis naturels des ravageurs de ces cultures et le sol s'appauvrit", une situation qui conduit les agriculteurs à utiliser davantage d’engrais et de pesticides, utilisation qui va accélérer le déclin de la biodiversité.

Le secteur agricole doit s’adapter au changement climatique

Si le changement climatique menace les rendements agricoles à travers le monde, notamment en agissant sur le cycle de croissance des plantes, ces effets et la manière dont nous y faisons face collectivement est révélateur d’un manque d’adaptation du secteur agricole aux changements climatiques.

C’était d’ailleurs l’une des conclusions du rapport annuel 2023 du Haut Conseil pour le Climat “Acter l’urgence, engager les moyens”, publié à la suite de la sécheresse historique qui a frappé les trois-quarts de la France en 2022 et a entraîné une baisse de 10 à 30% des rendements agricoles. Conclusion confirmée l’année suivante dans le rapport 2024 du Haut Conseil pour le Climat “Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population” : la majorité des mesures adoptées en 2023 “favorisent le statu quo de la production agricole actuelle, alors qu’il faudrait plutôt accompagner les agriculteurs, qui sont très impactés par le réchauffement climatique, vers une production plus résiliente et moins intensive” analyse Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat pour Reporterre.

Il est donc plus que jamais urgent d’adapter les pratiques agricoles pour réduire les impacts écologiques de l’agriculture tout en la rendant plus résiliente face aux effets du changement climatique et du déclin de la biodiversité. Si certaines pratiques, comme les mégabassines, les NTG, ou bien l’irrigation des champs avec des eaux usées, sont décriées par les associations environnementales et les scientifiques, d’autres solutions, plus résilientes, commencent à émerger un peu partout en France.

Adapter les cultures aux nouvelles conditions climatiques

Face à la multiplication des risques climatiques, de plus en plus d’agriculteurs modifient leurs cultures. Ainsi, alors que la Belgique développe sa production viticole, dans l’Aude certains vignerons abandonnent la vigne pour devenir producteur d’aloe vera. Certains agriculteurs commencent à planter des bananes dans le Roussillon, de la noix de pécan dans le Loiret ou bien encore de la pistache dans le Lubéron.

Parce qu’on ne pourra pas se nourrir uniquement de bananes ou de pistache, l’enjeu réside aussi, et surtout, dans notre capacité à développer des cultures capables de subvenir à tous nos besoins nutritionnels tout en étant résilient face aux effets du changement climatique. C’est justement la mission que s’est donnée l’équipe du Centre de ressource en botanique appliquée (CRBA) : étudier et déterminer les espèces végétales qui pourraient nous nourrir demain. Pour ce faire, les chercheurs se basent sur trois critères : capacité d’adaptation au changement climatique, culture sans intrants chimiques et haute valeur nutritive et gustative. Et comme c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, les heureuses élues sont souvent celles issues des variétés anciennes. D’autres chercheurs s’attellent quant à eux à entraîner les plantes, et notamment les arbres à s’adapter aux canicules, en s’inspirant du principe de la vaccination.

Les variétés modernes sont très spécialisées, elles sont résistantes à telle ou telle maladie, et ont besoin de beaucoup d’eau et d’engrais. Les variétés anciennes ou paysannes ont moins de rendement et résistent peut-être moins à une maladie précise… Mais elles sont moins homogènes, donc elles ont une résilience beaucoup plus forte face au changement climatique” Victor Durand, chef d’exploitation du CRBA, pour vert

Repenser les pratiques agricoles pour les rendre plus résilientes

L’agriculture biologique, l’agriculture régénératrice, l’agroforesterie, ou encore la permaculture, sont des pratiques agricoles qui remettent la biodiversité et les processus écologiques au cœur de l’agriculture. Elles permettent de réduire l’impact écologique de l’agriculture, tout en augmentant la résilience des cultures face aux effets du changement climatique.

Pour s’adapter aux sécheresses, de plus en plus d’agriculteurs transforment leurs pratiques agricoles en utilisant des techniques de l’agroforesterie (planter des arbres), de l’agriculture régénératrice (favoriser la vie dans les sols), ou bien encore de la permaculture (pailler les cultures). Ces techniques, comme l’hydrologie régénérative, permettent également d’être plus résilients face aux risques d’inondations, d’érosion des sols et de coulées de boue.

"L’objectif c’est d’avoir toujours le sol paillé. On a un paillage de broyat végétal, c’est du bois déchiqueté. Cette matière, on la dépose sur le sol où elle va se faire consommer par la vie du sol : les champignons et les vers de terre, et ça va créer de l’humus qui va être ensuite mélangé avec la terre. L’humus est intéressant parce qu’il retient dix fois son poids en eau. Donc c’est une super éponge que l’on a au niveau du sol. Ça veut dire que d’année en année, si on favorise le développement des vers de terre, on va avoir notre éponge qui va s’approfondir tout simplement et donc on a une réserve en eau constante. Ça permet de passer les périodes de sécheresse, d’utiliser beaucoup moins d’eau." André, agriculteur en permaculture, au micro de franceinfo

En plus de rendre le secteur agricole plus résilient face aux effets du changement climatique, les pratiques telles que l’agriculture régénératrice permettent également d’atténuer les effets du changement climatique, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre du secteur, et en transformant les sols agricoles en véritable puits de carbone, grâce à la séquestration du carbone sous forme de matière organique stable. Plusieurs problèmes, une solution !

Réduire les pesticides pour préserver la biodiversité

Certaines pratiques permettent également de réduire, voire de supprimer totalement, l’usage des pesticides et des engrais chimiques. C’est le cas, bien sûr, de l’agriculture biologique, mais également de l’agriculture régénératrice, qui utilise les légumineuses comme substitut aux engrais chimiques pour fertiliser les sols. Ces dernières, comme la luzerne ou le soja, permettent en effet de capter l’azote dans l’air pour le fixer dans le sol. La diversité végétale, en “brouillant les pistes” pour les ravageurs et en rendant les plantations plus résilientes aux maladies, permet également de réduire drastiquement l’usage des pesticides, fongicides et autres produits phytosanitaires. Autre solution pour réduire l’usage d’engrais chimique : la collecte d’urine ! Si la pratique peut sembler un peu ragoûtante aux premiers abords, elle commence à faire ses preuves et pourrait bientôt être déployée à grande échelle. En effet, l’urine, riche en nutriments, notamment en azote, phosphore et potassium, représente une alternative écologique et économique aux intrants chimiques issus de l’industrie fossile.

La réintroduction et la préservation de certains insectes et animaux, grâce à des pratiques agricoles plus vertueuses, participe aussi à la réduction, voire la suppression, de l’usage des pesticides. Une étude parue dans la revue The Royal Society en août 2022 a ainsi démontré que les fourmis, en tuant les parasites (et donc en réduisant les dommages causés par ces derniers sur les plantes), étaient plus efficaces que les pesticides.

Des chercheurs américains
ont également mis au point un spray à colle capable de tuer les insectes des cultures agricoles sans aucun produit chimique. Un tour de passe-passe ? Presque. Le spray diffuse de petites gouttelettes d’huile comestible capables de piéger les insectes sans nuire à la santé des agriculteurs, de la faune ou des sols.

Illustration d’insectes piégés dans les gouttelettes d’huile | © Thijs Bierman

Ne plus utiliser de pesticides et d’intrants chimiques pour préserver la biodiversité, c’est bien beau, mais est-ce que les rendements issus d’une agriculture 100% biologique seraient suffisants pour que chaque Français mange à sa faim ? Selon une étude publiée en juin 2021 dans la revue One Earth, la réponse est oui ! L’Europe pourrait ainsi atteindre l’autosuffisance alimentaire en 2050 sans avoir recours à aucun produits phytosanitaires, à condition de réduire la consommation de produits carnés, de mieux agencer culture et élevage, et de généraliser les rotations des cultures.

"Il faut savoir qu'on consomme presque deux fois plus de protéines que nos besoins nutritionnels. On peut donc réduire de 40% notre consommation de protéines animales sans même chercher à les substituer par des protéines végétales" Carine Barbier, chercheuse au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired), au micro de franceinfo

Pour aller plus loin

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Un article de :
Marina Yakovlev
Marina Yakovlev
Fondatrice d'EcoYako & Co-fondatrice de "Pour plus de climat dans les médias"
Alimentation
11 minutes de lecture

Zoom sur ... L'agriculture

Publié le
07 octobre 2024
Auteur(s)
Marina Yakovlev
Marina Yakovlev
Fondatrice d'EcoYako & Co-fondatrice de "Pour plus de climat dans les médias"

Sécheresses, inondations et coulées de boue, gel tardif, vagues de chaleur précoces, déclin de la biodiversité, pollution des sols … Les agriculteurs sont en première ligne face aux effets de la crise écologique, effets qui viennent s’ajouter à une situation économique déjà compliquée. Dans le même temps, l’agriculture fait également partie des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (cf notre article sur l’alimentation carnée). L’agriculture, c’est l’incarnation parfaite de l’expression “l’arroseur arrosé”. Source et victime du changement climatique, l’agriculture est aussi un acteur incontournable pour lutter contre la crise écologique. Décidément, le secteur agricole n’a pas fini de nous en faire voir des vertes et des pas mûres !

Le changement climatique impacte fortement les rendements agricoles

Cet été, la récolte de blé a enregistré une baisse de 25% par rapport à la moyenne des cinq dernières récoltes, faisant de 2024 la pire année pour la production de blé en France depuis 1987. En cause ? Des épisodes pluvieux exceptionnels, tant par leurs intensités et que par leurs durées. Deux ans plus tôt, alors que la France était frappée par une sécheresse historique, la production de blé enregistrait une baisse de 11 à 14% par rapport aux moyennes quinquennales, et celle de maïs enregistrait une baisse de 17%, soit la plus faible récolte depuis 1990. A la sortie de l’hiver 2024, de nombreux agriculteurs ont également vu leur récolte affaiblie par les floraisons précoces et l’arrivée tardive du gel. Côté vendanges, la situation est tout aussi inquiétante : les récoltes de 2024 devraient baisser de 18% par rapport à 2023 en raison de l’humidité importante lors de la floraison du raisin, d’orages de grêle et/ou de gel sévère.

"Tous les ans, on fait face à quelque chose de nouveau. Un excès, dans un sens ou dans l'autre. Une sécheresse ou trop d'eau. On parlait avant d'une année compliquée pour cinq années 'normales'. Aujourd'hui, c'est presque l'inverse." Nicolas Richarme, vigneron dans le Gard, au micro de franceinfo

La hausse des températures, en augmentant le phénomène d’évapotranspiration et en asséchant les sols, joue également un rôle dans la baisse des rendements agricoles. Les canicules à répétition pourraient ainsi faire peser un risque “extrême” sur 71% de la production alimentaire mondiale d’ici 2045.

En règle générale, la gravité des impacts des sécheresses et des canicules sur la production agricole a à peu près triplé ces cinquante dernières années, selon une étude publiée en 2021 dans la revue “Environmental Research Letters”. Un phénomène qui va s’aggraver dans les prochaines années en raison du changement climatique, et qui a des conséquences directes sur l’augmentation des prix des produits alimentaires.

Et cette situation n’est pas propre à la France. Outre-manche, l’hiver historiquement humide qu’a connu le Royaume-Uni a entraîné une baisse de revenus de 19% pour les agriculteurs. Le Maroc, qui connaît sa sixième année consécutive de sécheresse, devient de plus en plus dépendant des importations pour se nourrir. Au Brésil, la sécheresse et les incendies historiques de 2024 menacent la production de canne à sucre, de café, d’orange et de soja. Le Japon, quant à lui, est confronté à une pénurie de riz en raison du changement climatique et du tourisme de masse.

Le déclin de la biodiversité, l’autre grande menace qui pèse sur le secteur agricole

Les insectes et animaux auxiliaires tels que les oiseaux, les pollinisateurs ou les vers de terre sont essentiels pour assurer la bonne santé des écosystèmes agricoles, et donc de bon rendements. Le hic ? Ces derniers sont de plus en plus menacés, et, ironie du sort, l’agriculture conventionnelle est en partie responsable de ce déclin. C’est le serpent qui se mord la queue…

Le déclin de la biodiversité, l’autre grande menace qui pèse sur le secteur agricole

Les insectes et animaux auxiliaires tels que les oiseaux, les pollinisateurs ou les vers de terre sont essentiels pour assurer la bonne santé des écosystèmes agricoles, et donc de bon rendements. Le hic ? Ces derniers sont de plus en plus menacés, et, ironie du sort, l’agriculture conventionnelle est en partie responsable de ce déclin. C’est le serpent qui se mord la queue …

Les abeilles sont grandement menacées par les effets combinés du changement climatique, de l'agriculture intensive, de l'usage de pesticides, de la perte en biodiversité et de la pollutionM. Graziano da Silva, ancien directeur général de la FAO

Si l’impact de l’usage des pesticides sur la biodiversité n’est plus à démontrer, une méta-analyse parue en juin 2023 dans la revue Journal of Applied Ecology vient confirmer l’ampleur de ce phénomène, en démontrant l’effet généralisé des produits phytosanitaires sur l’abondance et la diversité des communautés de la faune du sol. Une autre étude, parue en mai 2023 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, démontre, quant à elle, que l’usage des pesticides et des engrais est la première cause de déclin des oiseaux en Europe.

Illustration de la perte de biodiversité selon la diversification des paysages agricoles | © Cour des comptes européenne

La biodiversité est également impactée par les effets du changement climatique, que ce soit directement, ou bien indirectement, comme le démontre cette étude britannique parue en mars 2023 qui établit un lien entre la hausse des températures induite par le changement climatique d’une part, et l’aggravation de l’effet de certains pesticides sur les pollinisateurs d’autre part. Une autre étude démontre quant à elle l’augmentation de l’utilisation de pesticides en France en raison du changement climatique. Rappelons par ailleurs que l’agriculture est l’un des principaux secteurs qui contribuent au changement climatique.

La baisse de la biodiversité végétale, provoquée par la simplification de notre alimentation qui ne repose plus que sur quelques cultures, comme le blé ou le maïs, est également responsable de l’effondrement de la biodiversité. Comme l’explique Michel Duru, Directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), au micro de franceinfo : "le fait qu'un tout petit nombre d'espèces, comme les céréales, soient cultivées sur de grandes surfaces conduit à un effondrement de la biodiversité dans les paysages. Il n'y a plus le gîte et le couvert pour les ennemis naturels des ravageurs de ces cultures et le sol s'appauvrit", une situation qui conduit les agriculteurs à utiliser davantage d’engrais et de pesticides, utilisation qui va accélérer le déclin de la biodiversité.

Le secteur agricole doit s’adapter au changement climatique

Si le changement climatique menace les rendements agricoles à travers le monde, notamment en agissant sur le cycle de croissance des plantes, ces effets et la manière dont nous y faisons face collectivement est révélateur d’un manque d’adaptation du secteur agricole aux changements climatiques.

C’était d’ailleurs l’une des conclusions du rapport annuel 2023 du Haut Conseil pour le Climat “Acter l’urgence, engager les moyens”, publié à la suite de la sécheresse historique qui a frappé les trois-quarts de la France en 2022 et a entraîné une baisse de 10 à 30% des rendements agricoles. Conclusion confirmée l’année suivante dans le rapport 2024 du Haut Conseil pour le Climat “Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population” : la majorité des mesures adoptées en 2023 “favorisent le statu quo de la production agricole actuelle, alors qu’il faudrait plutôt accompagner les agriculteurs, qui sont très impactés par le réchauffement climatique, vers une production plus résiliente et moins intensive” analyse Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat pour Reporterre.

Il est donc plus que jamais urgent d’adapter les pratiques agricoles pour réduire les impacts écologiques de l’agriculture tout en la rendant plus résiliente face aux effets du changement climatique et du déclin de la biodiversité. Si certaines pratiques, comme les mégabassines, les NTG, ou bien l’irrigation des champs avec des eaux usées, sont décriées par les associations environnementales et les scientifiques, d’autres solutions, plus résilientes, commencent à émerger un peu partout en France.

Adapter les cultures aux nouvelles conditions climatiques

Face à la multiplication des risques climatiques, de plus en plus d’agriculteurs modifient leurs cultures. Ainsi, alors que la Belgique développe sa production viticole, dans l’Aude certains vignerons abandonnent la vigne pour devenir producteur d’aloe vera. Certains agriculteurs commencent à planter des bananes dans le Roussillon, de la noix de pécan dans le Loiret ou bien encore de la pistache dans le Lubéron.

Parce qu’on ne pourra pas se nourrir uniquement de bananes ou de pistache, l’enjeu réside aussi, et surtout, dans notre capacité à développer des cultures capables de subvenir à tous nos besoins nutritionnels tout en étant résilient face aux effets du changement climatique. C’est justement la mission que s’est donnée l’équipe du Centre de ressource en botanique appliquée (CRBA) : étudier et déterminer les espèces végétales qui pourraient nous nourrir demain. Pour ce faire, les chercheurs se basent sur trois critères : capacité d’adaptation au changement climatique, culture sans intrants chimiques et haute valeur nutritive et gustative. Et comme c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, les heureuses élues sont souvent celles issues des variétés anciennes. D’autres chercheurs s’attellent quant à eux à entraîner les plantes, et notamment les arbres à s’adapter aux canicules, en s’inspirant du principe de la vaccination.

Les variétés modernes sont très spécialisées, elles sont résistantes à telle ou telle maladie, et ont besoin de beaucoup d’eau et d’engrais. Les variétés anciennes ou paysannes ont moins de rendement et résistent peut-être moins à une maladie précise… Mais elles sont moins homogènes, donc elles ont une résilience beaucoup plus forte face au changement climatique” Victor Durand, chef d’exploitation du CRBA, pour vert

Repenser les pratiques agricoles pour les rendre plus résilientes

L’agriculture biologique, l’agriculture régénératrice, l’agroforesterie, ou encore la permaculture, sont des pratiques agricoles qui remettent la biodiversité et les processus écologiques au cœur de l’agriculture. Elles permettent de réduire l’impact écologique de l’agriculture, tout en augmentant la résilience des cultures face aux effets du changement climatique.

Pour s’adapter aux sécheresses, de plus en plus d’agriculteurs transforment leurs pratiques agricoles en utilisant des techniques de l’agroforesterie (planter des arbres), de l’agriculture régénératrice (favoriser la vie dans les sols), ou bien encore de la permaculture (pailler les cultures). Ces techniques, comme l’hydrologie régénérative, permettent également d’être plus résilients face aux risques d’inondations, d’érosion des sols et de coulées de boue.

"L’objectif c’est d’avoir toujours le sol paillé. On a un paillage de broyat végétal, c’est du bois déchiqueté. Cette matière, on la dépose sur le sol où elle va se faire consommer par la vie du sol : les champignons et les vers de terre, et ça va créer de l’humus qui va être ensuite mélangé avec la terre. L’humus est intéressant parce qu’il retient dix fois son poids en eau. Donc c’est une super éponge que l’on a au niveau du sol. Ça veut dire que d’année en année, si on favorise le développement des vers de terre, on va avoir notre éponge qui va s’approfondir tout simplement et donc on a une réserve en eau constante. Ça permet de passer les périodes de sécheresse, d’utiliser beaucoup moins d’eau." André, agriculteur en permaculture, au micro de franceinfo

En plus de rendre le secteur agricole plus résilient face aux effets du changement climatique, les pratiques telles que l’agriculture régénératrice permettent également d’atténuer les effets du changement climatique, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre du secteur, et en transformant les sols agricoles en véritable puits de carbone, grâce à la séquestration du carbone sous forme de matière organique stable. Plusieurs problèmes, une solution !

Réduire les pesticides pour préserver la biodiversité

Certaines pratiques permettent également de réduire, voire de supprimer totalement, l’usage des pesticides et des engrais chimiques. C’est le cas, bien sûr, de l’agriculture biologique, mais également de l’agriculture régénératrice, qui utilise les légumineuses comme substitut aux engrais chimiques pour fertiliser les sols. Ces dernières, comme la luzerne ou le soja, permettent en effet de capter l’azote dans l’air pour le fixer dans le sol. La diversité végétale, en “brouillant les pistes” pour les ravageurs et en rendant les plantations plus résilientes aux maladies, permet également de réduire drastiquement l’usage des pesticides, fongicides et autres produits phytosanitaires. Autre solution pour réduire l’usage d’engrais chimique : la collecte d’urine ! Si la pratique peut sembler un peu ragoûtante aux premiers abords, elle commence à faire ses preuves et pourrait bientôt être déployée à grande échelle. En effet, l’urine, riche en nutriments, notamment en azote, phosphore et potassium, représente une alternative écologique et économique aux intrants chimiques issus de l’industrie fossile.

La réintroduction et la préservation de certains insectes et animaux, grâce à des pratiques agricoles plus vertueuses, participe aussi à la réduction, voire la suppression, de l’usage des pesticides. Une étude parue dans la revue The Royal Society en août 2022 a ainsi démontré que les fourmis, en tuant les parasites (et donc en réduisant les dommages causés par ces derniers sur les plantes), étaient plus efficaces que les pesticides.

Des chercheurs américains
ont également mis au point un spray à colle capable de tuer les insectes des cultures agricoles sans aucun produit chimique. Un tour de passe-passe ? Presque. Le spray diffuse de petites gouttelettes d’huile comestible capables de piéger les insectes sans nuire à la santé des agriculteurs, de la faune ou des sols.

Illustration d’insectes piégés dans les gouttelettes d’huile | © Thijs Bierman

Ne plus utiliser de pesticides et d’intrants chimiques pour préserver la biodiversité, c’est bien beau, mais est-ce que les rendements issus d’une agriculture 100% biologique seraient suffisants pour que chaque Français mange à sa faim ? Selon une étude publiée en juin 2021 dans la revue One Earth, la réponse est oui ! L’Europe pourrait ainsi atteindre l’autosuffisance alimentaire en 2050 sans avoir recours à aucun produits phytosanitaires, à condition de réduire la consommation de produits carnés, de mieux agencer culture et élevage, et de généraliser les rotations des cultures.

"Il faut savoir qu'on consomme presque deux fois plus de protéines que nos besoins nutritionnels. On peut donc réduire de 40% notre consommation de protéines animales sans même chercher à les substituer par des protéines végétales" Carine Barbier, chercheuse au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired), au micro de franceinfo

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